La crise des benzodiazépines aussi grave que celle des opioïdes, disent des médecins

Répondre
Avatar du membre
cgelinas
Administrateur
Messages : 7838
Enregistré le : 25 mai 2010, 22:07
Localisation : Lévis, QC
Contact :

28 février 2024


Plusieurs médecins et professionnels de la santé s’ajoutent aux sonneurs d’alerte et plaident pour une intervention des autorités à la suite d’un reportage d’Enquête documentant les ravages de la surprescription de somnifères et d'anxiolytiques au pays.

La surprescription et la banalisation des benzodiazépines est un grave problème, autant sinon plus que les opioïdes, notamment chez les aînés, a écrit le gériatre David Lussier sur la plateforme X. Je n’ai jamais compris qu’on n’y accorde pas plus d’attention.

[Éditeur: c'est un énorme problème et pas juste chez les aînés puisque même les plus jeunes adultes qui vivent d'importants stress, notamment dans leur travail et au chapitre de leurs finances, finissent par avoir d'importants problèmes de sommeil qui sont mal adressés par les options pharmaceutiques (qui engendrent des problèmes réels).]

Le médecin spécialiste des aînés a publié ce message après la publication du reportage d’Enquête faisant état de témoignages de patients qui ont souffert d’une dépendance aux benzodiazépines ou aux hypnotiques en Z, médicaments qui peuvent entraîner de graves effets secondaires.

Les statistiques montrent que ces médicaments censés être prescrits pour de courtes durées pour le traitement de l’insomnie et de l’anxiété sont consommés de façon chronique au pays. Au Québec, plus de 11 % de la population a reçu une ordonnance de ce type en 2022, un chiffre qui grimpe à 27 % chez les 71 ans et plus.

Un gros problème qui mène à de nombreux problèmes, a répliqué le médecin urgentologue Alain Vadeboncoeur à son confrère David Lussier, sur le réseau social X.

Encadrer les ordonnances

En entrevue, le Dr Lussier est catégorique : Les effets néfastes des benzodiazépines peuvent être aussi grands ou même plus grands que ceux des opioïdes à cause de tous les effets secondaires de la dépendance.

Puisque les benzodiazépines engendrent de la tolérance lorsqu’ils sont pris de façon continue, leurs ordonnances devraient être soumises aux mêmes règles strictes qui encadrent les ordonnances d'opioïdes, soit un nombre limité de doses à la fois et non 30 pilules par mois renouvelables pendant un an, estime le Dr Lussier.

Ça fait des années que je ne comprends pas pourquoi les benzos peuvent être prescrites comme n'importe quel médicament, c'est-à-dire avec des renouvellements, insiste le Dr Lussier. Un encadrement plus strict obligerait le patient à retourner voir son médecin une fois l’ordonnance échue, ce qui limiterait les risques de prise en continu de ces médicaments, fait-il valoir.

La thérapie pas couverte par la RAMQ

Parmi les autres pistes de solutions proposées par des médecins qui ont commenté le reportage, il y a celle d’améliorer l’accès aux traitements non pharmacologiques.

Une récente étude de l’Université Laval a d’ailleurs montré que la psychothérapie est aussi efficace que les somnifères pour traiter l’insomnie et qu’elle permet également de réduire ce que les experts appellent l’anxiété de performance nocturne, soit la crainte de souffrir d’insomnie.

Sauf que la thérapie cognitivo-comportementale demeure peu accessible au Québec, déplore le Dr Lussier. Les médecins sont blâmés parce qu'ils prescrivent les benzos de façon trop libérale, mais il faut dire que, quand quelqu’un veut dormir et se plaint d’insomnie, il y a très peu d’options, signale-t-il.

La médecin de famille Claudel Pétrin-Desrosiers abonde dans le même sens, sur Instagram : Le défi comme clinicien, c’est que le traitement qui devrait être celui de première intention, démontré et avec études scientifiques à l’appui – soit la thérapie cognitivo-comportementale –, n’est pas celui qui est couvert par la RAMQ, alors que les médicaments le sont.

Elle plaide pour une intervention des autorités en la matière.

Éduquer les patients

Certains médecins avec qui nous avons échangé dans les jours suivant la diffusion du reportage ont tenu à rappeler que ce sont parfois les patients qui insistent pour se faire prescrire ces médicaments.

Il y a une énorme pression à prescrire des pilules pour dormir, nous a écrit une omnipraticienne, qui a préféré ne pas être identifiée. J’ai même un patient qui est parti en claquant la porte de mon bureau, car j’ai commencé à parler de l'hygiène du sommeil et des façons non pharmacologiques de l'améliorer.

Cette médecin de famille croit néanmoins à l’imputabilité des médecins dans cette crise de surprescription. J’espère maintenant que, lorsque les gens consulteront pour insomnie, ils vont trouver que les meilleurs médecins pour les aider seront ceux qui ont une approche non pharmacologique au lieu de ceux qui commencent par une pilule. Actuellement, je sens que c’est le contraire, a-t-elle écrit.

Le pharmacien David Gardner, professeur de psychiatrie à l’Université Dalhousie, en Nouvelle-Écosse, s’intéresse depuis des années aux différentes mesures que d’autres pays ont testées pour tenter d’enrayer la surprescription de ces médicaments.

Il souligne qu’il est normal de vouloir changer les comportements des professionnels de la santé dans ce dossier, mais que l’attitude des patients doit également évoluer.

En 2018, son équipe a lancé un projet intitulé Mieux dormir, qui sert à informer le public des risques liés aux somnifères et des bienfaits de la thérapie cognitivo-comportementale. Lorsque les patients sont informés des risques des benzodiazépines, ils sont plus enclins à amorcer un sevrage, a montré une étude liée à ce projet.

Au cours d'une période de six mois, près de 30 % [des participants à l’étude] avaient, de leur propre initiative, collaboré avec leur pharmacien ou leur médecin et cessé de prendre ces somnifères, souligne David Gardner.

La Nouvelle-Écosse ne s’est pas contentée de sensibiliser les patients au problème : elle a aussi ciblé les prescripteurs. En 2022, le Collège des médecins et chirurgiens de la Nouvelle-Écosse a amendé ses normes de pratique afin de mieux encadrer les benzodiazépines. On a entre autres imposé une limite de deux à quatre semaines aux nouvelles ordonnances de ces médicaments.

Le Québec dans l’analyse de données

Le Collège des médecins du Québec est quant à lui encore en train d’analyser les données. En entrevue avec Enquête, son président Mauril Gaudreault a expliqué qu’un nouveau sous-programme, lancé en janvier, servira à identifier les médecins qui prescrivent des quantités importantes de benzodiazépines et d’opioïdes. Cet effort pourrait mener à un changement de la réglementation, dans environ trois ans.

Le gouvernement est lui aussi à l’étape de colliger de l'information. Questionnée par Radio-Canada, une porte-parole du ministère de la Santé affirme que celui-ci est préoccupé par le mésusage des benzodiazépines.

Des discussions ont débuté au comité sur l’usage optimal des médicaments au sujet des benzodiazépines juste avant le début de la pandémie de COVID-19, écrit-elle. Les travaux sur le sujet ont repris depuis peu afin de déterminer de nouvelles mesures qui pourraient être implantées.

Alors que plusieurs experts qui ont parlé à Radio-Canada évoquent une crise de santé publique, le ministère se contente dans son courriel de parler de la consommation problématique des patients et n’aborde à aucun moment la responsabilité des prescripteurs.

Dans un courriel subséquent, en réponse aux questions d’Enquête concernant le rôle des professionnels de la santé, une porte-parole du ministère souligne l’existence du Service de la prise en charge en soutien à la déprescription, service gratuit mais encore peu connu qui permettrait aux pharmaciens d’encadrer un sevrage de médicament.

Le MSSS entend faire en sorte que ce service soit mieux connu des patients, notamment avec la collaboration des associations de pharmaciens, écrit la porte-parole.

Le Canada à l’époque médiévale

Le Canada est 30 ans derrière l’Angleterre quant à sa prise de conscience des ravages causés par les benzodiazépines, avance le Dr Mark Horowitz, l’un des chefs de file de la recherche mondiale sur le sevrage. Le psychiatre, qui vient de publier un guide de déprescription à l’intention de la communauté médicale, déplore notamment que les médecins canadiens n’aient pas de lignes directrices adéquates en matière de sevrage.

La sommité britannique a contacté Enquête dans la foulée de la diffusion de son reportage. Le Dr Horowitz se réjouit que le voile soit levé sur le fléau de la surprescription au pays, mais exhorte les médecins canadiens à faire preuve de prudence.

Lorsque les médecins sont informés des méfaits des benzodiazépines, le pendule peut basculer de l’autre côté et les prescripteurs peuvent réagir de manière impulsive en obligeant leurs patients à arrêter les benzodiazépines trop rapidement, prévient-il, soulignant qu'il peut être mauvais de prendre un médicament et pire encore de l’arrêter trop rapidement.

Selon le psychiatre, dont les travaux ont contribué à établir de nouveaux protocoles d’arrêt de médicaments psychotropes au Royaume-Uni (les lignes directrices du National Institute for Health and Care Excellence), un sevrage des benzodiazépines prend en moyenne de 6 à 18 mois et varie selon le type de médicament utilisé, la réponse du patient et la durée du traitement. Dans certains cas, cela peut prendre des années, dit-il.

En matière de sevrage, Mark Horowitz estime que le Canada a des décennies de retard. L'Angleterre a eu des recours collectifs, dont 14 000 dans les années 1990, et des patients ont poursuivi les sociétés pharmaceutiques et les médecins généralistes dans les années 2000 sur la question du sevrage précisément, explique le psychiatre. [Observer ce qui se fait au Canada], c'est comme regarder l'époque médiévale, laisse-t-il tomber.



Source: MSN / Radio-Canada



-- -- --
Fichiers joints
exemples-de-benzodiazepines-et-d-hypnotiques-les-plus-populaires.jpg
exemples-de-benzodiazepines-et-d-hypnotiques-les-plus-populaires.jpg (64 Kio) Vu 59 fois
Claude Gélinas, Éditeur
chaudiere.ca

Blogues: Montréal | Québec | Lévis | Emploi | Éducation | Placements | Transports
Dons: PayPal | DonorBox Web: Achetez vos noms de domaines au plus bas prix...
Répondre