Réforme en éducation: des doutes sur la proposition dans son état actuel

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cgelinas
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11 mai 2023


Lorsqu’il a présenté son nouveau projet de loi la semaine dernière, le ministre Bernard Drainville a justifié son désir de nommer les directions générales de centres de services scolaires et d’avoir accès à une banque de données en affirmant que « ces mesures favoriseront la réussite scolaire » et que « l’accès aux données va permettre de détecter les élèves qui sont en besoin pour venir les aider plus rapidement et efficacement ».

J’aimerais qu’on m’explique en quoi le fait que le ministre nomme lui-même les directions générales aidera les élèves dans les classes et favorisera la réussite scolaire.

J’aimerais aussi, et surtout, qu’on m’explique en quoi le fait que le réseau ait accès aux données (quelles données, d’ailleurs ?) aidera à « détecter les élèves qui sont dans le besoin pour venir les aider plus rapidement et plus efficacement ».

Si je me fie aux propos de M. Drainville, grâce à ce projet de loi, quelqu’un du réseau pourra détecter mes élèves en difficulté grâce aux données.

Alors quand j’observerai des difficultés chez un élève, plutôt que d’en discuter avec la direction, l’orthopédagogue et mes collègues à l’école afin de mettre en place immédiatement le suivi nécessaire, je vais entrer des données dans un système informatique.

Quelqu’un pourra alors détecter rapidement et efficacement les difficultés de certains élèves (que nous aurons déjà notées dans le système puisqu’on les aura nous-mêmes déjà détectées au quotidien pour les inscrire), et ce quelqu’un viendra « les aider plus rapidement et efficacement ». Permettez-moi de douter que ce sera plus rapide et plus efficace. Et surtout, de douter que quelqu’un viendra.

S’accorder le pouvoir de nommer des directions générales et favoriser l’accès aux données en éducation peut aider le Ministère à avoir une idée de ce qui peut se quantifier dans le réseau et peut aider le ministre à répondre aux questions sur toutes sortes de chiffres, mais, s’il vous plaît, ne nous prenez pas pour des imbéciles.

Revenir à plus de pouvoir au ministère, l’entité la plus loin des classes, du « terrain » dans le réseau, c’est nier les disparités des régions, des milieux, des enfants et de leurs besoins. Collecter des données chiffrées basées sur la réussite chiffrée ne favorise pas la réussite scolaire. Ça n’améliore pas les services aux élèves. Ça ne dit rien sur l’apprentissage. Ça n’aide personne dans les écoles à prendre de meilleures décisions. Et ça n’aide surtout pas les élèves en difficulté d’apprentissage ou en détresse émotive, mentale et comportementale.

Institut national d’excellence en éducation : oui, mais…

Quant à un institut national d’excellence en éducation, au premier abord, comment être contre ? Un endroit pour réfléchir, pour analyser, regrouper et diffuser les connaissances qui font consensus et évoluent constamment. Bien sûr !

Mais il y a un « mais » avec la proposition dans son état actuel.

Des instances existantes comme le Conseil supérieur de l’éducation ont déjà le rôle de publier des avis appuyés par la recherche. De nombreux rapports ont été publiés déjà, et tablettés par tous les ministres que j’ai vus passer, quand ça ne faisait pas leur affaire.

Notamment l’excellent Évaluer pour que ça compte vraiment, qui aurait dû faire comprendre l’urgence et la nécessité de changer les pratiques évaluatives au Québec, s’appuyant sur les recherches les plus à jour sur le sujet, dont les résultats sont assez unanimes partout dans le monde, mais aussi faisant état des perceptions et d’expériences d’enseignants, de directions d’école, de parents… Depuis la publication de ce rapport en 2019, rien n’a changé dans les pratiques évaluatives au Québec. Les enseignants qui veulent être à jour le font en utilisant leur autonomie professionnelle, en surplus des mesures évaluatives obligatoires dans notre système québécois.

Le Ministère publie aussi déjà des documents de référence pour mettre à jour les pratiques suggérées pour certaines compétences au programme, notamment en lecture et en écriture. Le Référentiel d’intervention en écriture, publié en 2017, reste lui aussi à ce jour inconnu de la plupart des enseignants que je côtoie. Dans l’introduction de ce document, il est écrit qu’il « propose des interventions reconnues efficaces par la recherche pour soutenir le développement de la compétence à écrire de tous les élèves, notamment ceux à risque de rencontrer des difficultés, ou qui en rencontrent déjà, peu importe la cause de ces difficultés ». Pourtant, depuis la publication de ce référentiel, il n’y a eu aucune consigne ministérielle à ce sujet ni de formation continue massive pour présenter ces pratiques et accompagner les enseignants dans leur mise en application concrètement en classe.

Et malgré tout le bien que je pense de la nécessité de s’appuyer sur des pratiques probantes pour offrir à tous les élèves les conditions idéales pour devenir des apprenants engagés, motivés et compétents, comment être assurés qu’une idéologie ne soit pas favorisée plutôt que d’autres, au nom de LA science ? Je ne peux m’empêcher de penser à ce qui se passe depuis environ cinq ans aux États-Unis, et plus récemment dans les autres provinces canadiennes. Des dérives monumentales sont en train de se produire. Des reculs majeurs, notamment dans l’enseignement de la lecture et de l’écriture.

Un regroupement qui affirme être détenteur de LA science (ils se nomment d’ailleurs, de façon assez prétentieuse, je trouve, Science of Reading) amène certains États à bannir des pratiques malgré le fait qu’elles soient appuyées par des recherches exhaustives et à jour, au profit d’un seul type de pratique. Est-ce qu’un institut national pourra prétendre avoir la seule vérité sans que ses conclusions puissent être critiquées? Comment pourra-t-on s’assurer de la transparence d’un tel institut?

Tout cela ajouté à l’absence de mesures concrètes pour soutenir les élèves et les enseignants, pour contrer la pénurie de tout le personnel scolaire, y compris l’attraction des professionnels, pour favoriser la rétention, pour régler l’iniquité de notre système à trois vitesses, tout ce qui semble le plus urgent pour le moment en éducation, conjugué au rapatriement des pouvoirs au ministre, me fait douter du bien-fondé de la proposition dans son état actuel.



Source: La Presse



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Claude Gélinas, Éditeur
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