Des contaminants éternels dans l’eau potable de villes québécoises

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cgelinas
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27 février 2023


L’eau potable de la presque totalité des villes québécoises présente des traces de PFAS, des polluants éternels potentiellement cancérigènes, révèle une vaste étude.

De l’avis de scientifiques, Saint-Donat, dans Lanaudière, et Val-d’Or, en Abitibi, affichent des concentrations préoccupantes.


Benoît Barbeau nous accueille chez lui, à Saint-Donat, dans le chalet qui l’a vu grandir et dont il est maintenant propriétaire.

Près de 40 centimètres de neige doivent tomber au cours des prochaines heures, une bonne nouvelle pour la municipalité dont l’économie dépend notamment du tourisme hivernal.

Pendant que les centimètres s’accumulent à l’extérieur, Benoît Barbeau nous offre un café. J'ai un pichet filtrant que j'utilise, dit-il. Pour remplir sa machine à café d’eau, par précaution, il utilise un pichet muni d’un filtre. Le quinquagénaire est particulièrement informé des problèmes touchant l’eau potable. L’ingénieur se spécialise en traitement des eaux. Il est également professeur, cotitulaire de la Chaire industrielle en eau potable à Polytechnique Montréal.


Depuis 2021, sa municipalité fait l’objet d’un avis de la santé publique sur la présence de manganèse dans l’eau potable. Mais plus récemment, un argument s’est ajouté pour justifier la pertinence d’un pichet filtrant.

L’automne dernier, il a appris que des collègues scientifiques avaient découvert des PFAS, des contaminants éternels potentiellement cancérigènes, dans l’eau de Saint-Donat, dont l’approvisionnement provient de la nappe phréatique.

Des chercheurs ont échantillonné l’eau potable de 376 municipalités québécoises, dans 17 régions administratives. L’exercice a commencé en 2018 et représente le portrait le plus complet effectué à ce jour dans le domaine au Québec. Le projet de recherche a été publié dans le journal scientifique Water Research.

On s'aperçoit que, sur 300 municipalités, il y en a 2 avec des concentrations plus élevées, a pu constater Benoît Barbeau en consultant l’étude, dont il n’est pas l’auteur. Saint-Donat en fait partie, de même que Val-d’Or, aussi approvisionnée en eau souterraine.

La présence de PFAS dans l’eau potable n’est pas une surprise en soi. Les PFAS se trouvent presque partout autour de nous. Mais les niveaux détectés à Val-d’Or et à Saint-Donat ont de quoi préoccuper, selon des experts.


Ces deux sites-là sont vraiment très élevés. Je pense qu'il faut essayer de faire quelque chose pour réduire l'exposition des gens qui boivent cette eau-là, croit Sébastien Sauvé, professeur de chimie environnementale à l’Université de Montréal, qui a chapeauté la vaste étude.

« Pour moi, c'est clair que si j'avais de la famille à Saint-Donat ou à Val-d'Or, je recommanderais au moins d'essayer d'avoir un traitement supplémentaire à la maison et de faire pression pour qu'il y ait quelque chose qui se fasse parce que je serais un peu inquiet. »

— Une citation de Sébastien Sauvé

Les résultats de Saint-Donat montrent la présence d’un total de 68 à 82 nanogrammes/litre (ng/L) de PFAS par échantillon.

À Val-d’Or, les échantillons varient de 35 à 171 ng/L.

Il n’existe aucune norme au Québec sur la présence de PFAS dans l'eau. Toutefois, le 7 février 2023, Santé Canada a proposé un nouveau seuil. L’agence canadienne prône une approche de précaution, car elle n'a pas de détails sur l'occurrence et la gravité des effets des PFAS sur la santé.

Il est proposé de fixer à 30 ng/L l'objectif pour la somme des concentrations de PFAS totales détectées dans l'eau potable, a indiqué Santé Canada dans le document qui fait l’objet de consultation jusqu’au 12 avril. Une nouvelle recommandation officielle sera ensuite établie.

Les échantillons de Saint-Donat dépasseraient donc de plus du double cette proposition si elle était adoptée. À Val-d’Or, la concentration d’un des échantillons serait presque six fois plus élevée. Deux autres municipalités excèdent cette proposition : Sainte-Adèle, dans les Laurentides, et Sainte-Cécile-de-Milton, en Estrie. Leurs taux varient entre 30 et 36 ng/L.


Peut-on boire l’eau de Saint-Donat et de Val-d’Or sans souci?

La santé publique du Québec n’a pas voulu répondre à nos questions, puisque des travaux sont toujours en cours. Au cabinet du Dr Luc Boileau, le directeur national de santé publique, on précise que les experts de la santé publique doivent prendre le temps de consulter la documentation scientifique afin de la synthétiser et d’en tirer des conclusions.

Les résultats de la recherche de l’Université de Montréal ont été communiqués en mai 2021 au ministère de l’Environnement et à l’automne 2022 à Santé Canada, confirme le coauteur de l’étude Sébastien Sauvé.

« C'est probablement prudent qu'il y ait un message officiel et qui n'y ait pas juste un reportage à la télé pour documenter et expliquer. Les gens vont être inquiets, les gens vont vouloir comprendre. »

— Une citation de Sébastien Sauvé

Santé Canada a aussi décliné notre demande d’entrevue. Les experts de Santé Canada ne se prononceront pas en entrevue sur des résultats spécifiques dans les provinces et territoires, nous a-t-on répondu.

Le professeur agrégé à l’École de santé publique de l’Université de Montréal, Marc-André Verner, enseigne au Département de santé environnementale. Le chercheur se spécialise en santé publique et travaille sur les questions liées aux PFAS.

Il rappelle qu’à l’heure actuelle, personne ne connaît le seuil de PFAS à partir duquel on observe des effets néfastes pour la santé, comme des impacts sur la croissance foetale, des changements sur les niveaux circulants de cholestérol et des risques de cancers, comme le cancer du rein.

La précaution est donc de mise, selon lui. Ce n'est pas mauvais de filtrer son eau, de changer de source d'eau.

Comme il s’agit d’une mesure individuelle et inégale dans la population, voici le meilleur conseil que le chercheur donne aux citoyens des deux municipalités visées : Je pense que la première chose à faire est de contacter la Municipalité et d'exposer nos inquiétudes. On doit essayer de faire bouger la Municipalité.

Je ne suis pas inquiet

Le ministère de l’Environnement du Québec assure que l’eau potable est de bonne qualité au Québec. Le microbiologiste et chef de la division de l’eau potable, Philippe Cantin, a été mandaté pour répondre à nos questions. Il est fier du travail de son équipe et il le défend.

« C'est une raison de déménager au Québec. On a beaucoup d'eau. Elle est de bonne qualité. »

— Une citation de Philippe Cantin

Son service surveille depuis 2007 les PFAS dans l’eau potable. Depuis 2018, il a donné une directive à l'effet de considérer cet enjeu dans le guide de conception des installations de production d’eau potable.

Le laboratoire de Sébastien Sauvé est l’un des plus sophistiqués du monde. Pour son étude, il a analysé 42 types de PFAS dans l’eau des villes.

Le microbiologiste Philippe Cantin reconnaît que le professeur Sauvé est une sommité dans son domaine, qu'il a des équipements vraiment dernier cri qui sont très performants. Après avoir pris connaissance des résultats de l’étude montréalaise, les experts du ministère ont analysé leurs propres échantillons à Val-d’Or et à Saint-Donat.

« Nos résultats corroborent pas mal ce que M. Sauvé a trouvé. On ne peut pas contester ses résultats. »

— Une citation de Philippe Cantin, microbiologiste

Toutefois, son appréciation des résultats est différente. Moi, je boirais l'eau sans hésitation à Val-d'Or et à Saint-Donat parce que les concentrations sont très faibles. Je ne serais inquiet ni pour moi ni pour ma famille.

Selon lui, les concentrations de PFAS trouvées dans l’eau de la majorité des 376 municipalités concernées équivalent à une cuillère à soupe dans un stade olympique rempli d’eau.

Mais à Saint-Donat et à Val-d’Or, les niveaux sont substantiellement plus élevés qu'ailleurs au Québec.

Philippe Cantin explique que, plutôt que d'avoir à Val-d'Or une cuillère à soupe dans le stade olympique, on en aurait 11 ou 12 peut-être.

Il redoute que d’informer la population engendre des craintes inutiles. Pour M. Cantin, la situation requiert une attention particulière, mais il n'y a pas d'urgence de changer de source d'eau potable ou de mettre en place d'autres solutions très rapidement­.

Du même souffle, pourtant, l’expert encourage les municipalités à adopter des mesures préventives pour réduire l’exposition des résidents.

Val-d’Or condamne un de ses puits

Le 16 janvier dernier, Radio-Canada a informé la Municipalité de Val-d’Or des résultats de l’enquête de l’Université de Montréal, que le ministère de l’Environnement détenait depuis mai 2021.

Deux jours après notre appel, le 18 janvier, Val-d’Or a contacté Sébastien Sauvé pour obtenir les détails de son étude et a pris la décision de s'approvisionner uniquement à son puits principal, nous a-t-elle écrit dans un courriel.

Val-d’Or dispose d'un puits principal et d'un puits d’appoint qui recueillent l’eau de nappes phréatiques distinctes, selon la Municipalité.

La Ville a commandé de nouveaux tests auprès du professeur Sauvé pour distinguer les niveaux de contamination dans chacun des deux puits.

Ces tests ont finalement révélé des taux de 155 à 171 ng/L dans le puits d’appoint. Val-d’Or a donc décidé, à la mi-février, de condamner définitivement ce puits, en fonction depuis 2008, qui était utilisé en période de pointe.

Les échantillons d’eau provenant du puits principal indiquent, quant à eux, des taux de 35 à 37 ng/L.

Le conseiller municipal Benjamin Turcotte n’est pas du tout inquiet. L’eau de Val-d’Or, c’est une de nos fiertés. Moi, j’en bois tous les jours et je n’ai aucun problème à en faire boire aux membres de ma famille.

Il veut rassurer la population : L’eau potable qui est distribuée à partir du puits principal est tout juste en haut de la future cible de Santé Canada. On travaille en collaboration avec les différents ministères pour s’assurer que dans l'avenir ce soit encore le cas.

Malgré ces propos rassurants, la population de Val-d'Or n’a pas encore été avisée de la situation. La Ville a annoncé la tenue d'un point de presse à ce sujet, quelques jours avant la sortie du reportage d'Enquête.

Pas d’avis de la santé publique

Boire ou ne pas boire l’eau, les avis divergent. Mais une chose est sûre: pour prendre une décision éclairée, les citoyens doivent d’abord être informés. Le maire de Saint-Donat admet qu’il n’est pas un expert de la question et qu’il se sent peu outillé.

Joé Deslauriers s’est enquis de la situation auprès de la direction de la santé publique régionale de Lanaudière. Allez-vous émettre un communiqué? Allez-vous faire quelque chose?

Benoît Barbeau interpelle aussi les autorités. Ultimement, dans des dossiers comme ça, il faut que la santé publique se prononce. J'espère qu'elle va le faire.

Marc-André Verner le pense aussi. Les municipalités devraient savoir qu'il y a un problème de contamination. Ensuite, de concert avec la population, les autorités devraient mener une action faisant en sorte qu'on réduise cette exposition.

Le 23 janvier 2023, le maire de Saint-Donat a finalement pris l’initiative d’informer lui-même ses citoyens lors d’une séance publique du conseil municipal.

Il y a un reportage qui va sortir prochainement à Radio-Canada, c’est pour ça qu'on trouve important de vous le dire, a-t-il expliqué. On a remis tout ça dans les mains de la santé publique, de l’INSPQ, qui a la responsabilité et le devoir d’informer la population du Québec.

D’où proviennent les PFAS à Saint-Donat et à Val-d’Or?

La signature chimique des échantillons d’eau prélevés à Saint-Donat permet d’émettre des hypothèses sur la source de contamination.

Selon le chercheur Sauvé, l’utilisation de mousse extinctrice lors d’incendies serait en cause. La contamination viendrait du site d'enfouissement, mais probablement plus des mousses qui ont été ajoutées sur le site. Une étude hydrogéologique serait nécessaire pour en avoir le cœur net. La Municipalité tente d’en savoir plus sur cette piste.

Les concentrations de PFAS dans l'environnement pourraient être plus importantes dans les zones avoisinant les installations qui utilisent de grandes quantités de ces produits chimiques et près des endroits où les mousses extinctrices contenant des PFAS ont été utilisées pour éteindre des incendies.

Source : Santé Canada

Le site d’enfouissement a été fermé au début des années 80 et accueille maintenant l’écocentre de Saint-Donat.

À Val-d’Or, les élus n’ont aucune hypothèse sur la source de contamination, mais ils entreprendront des démarches pour tenter de la connaître.

Partout sur la planète, les agences de santé resserrent les normes sur les PFAS dans l’eau potable. Pendant ce temps, les polluants éternels, eux, ne disparaissent pas. Toutes les municipalités devront donc être aux aguets à l’avenir.

Selon Sébastien Sauvé, le message à retenir est qu' on est en train de contaminer toutes nos sources d'eau et d'en mettre partout, donc on est un peu obligés de vivre avec une certaine exposition qu'il faut accepter.

Elle est très bonne

Le maire Joé Deslauriers nous reçoit à son bureau, verre d’eau à la main. C’est l’eau de ma municipalité. Il n’y a aucune interdiction de boire de cette eau. Elle est très bonne. Tous les conseillers municipaux ont aussi bu de cette eau lors de la séance du conseil municipal informant la population de la présence de PFAS dans l’eau.

Nous, les villes au Québec, on se réfère à la santé publique, ajoute-t-il. S’il y avait eu quelque chose de vraiment grave, ils nous auraient dit : "Arrêtez!" Ce qui n'est pas le cas.

Les élus de Saint-Donat ont pris connaissance de ces données au moment où ils planifient de construire une nouvelle usine de traitement de l’eau en raison des problèmes de manganèse. Ils ont donc un portrait plus complet de la situation avant d’effectuer des investissements majeurs.

Le projet sur lequel ils planchent est d’abandonner l’eau souterraine pour privilégier l’eau de surface du lac Archambault.



Source: Radio-Canada



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Claude Gélinas, Éditeur
chaudiere.ca

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