"ii) Corruption judiciaire
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231. Élaborée en 2000 par un groupe d’experts réuni par le Centre for the Independence of Judges and Lawyers (CIJL) de la Commission internationale de juristes, une politique cadre pour lutter contre la corruption judiciaire définit cette notion de manière extensive: « The judicial system is corrupted when any act or omission results or is intended to result in the loss of impartiality of the judiciary ». De façon plus spécifique, elle précise que la corruption survient « whenever a judge or court officer seeks or receives a benefit of any kind in respect of an exercise of power or other action ».
Entrent dans cette définition les pots-de-vin, la fraude, l’utilisation de ressources publiques pour un bénéfice privé, la perte ou la modification délibérées de dossiers judiciaires.
Cette politique considère que la corruption se produit aussi « when instead of procedures being determined on the basis of evidence and the law, they are decided on the basis of improper influences, inducements, pressures, threats, or interferences, directly or indirectly, from any quarter or for any reason ». De telles raisons peuvent inclure les suivantes : un conflit d’intérêts, le népotisme, le favoritisme envers des amis, la considération d’avantages futurs, une trop grande proximité avec des membres du barreau, des politiciens ou des parties à un litige.
Quelques années plus tard, dans un rapport concernant la corruption au sein de la magistrature, l’organisme Transparency International définit ce concept comme « l’abus d’une position publique en vue d’un intérêt privé ».
Une idée fondamentale se dégage de ces définitions: la perspective que l’exercice des fonctions judiciaires puisse être orienté en raison d’un avantage, procuré ou anticipé, dont le juge bénéficie d’une façon ou d’une autre. La prohibition de la corruption judiciaire est prioritairement liée à la préservation de l’impartialité du tribunal. Un juge doit demeurer désintéressé par rapport au sort du litige dont il est saisi. Sa décision ne doit pas être dictée par un avantage qui lui est directement ou indirectement destiné. Cette prohibition est aussi liée à la préservation de la méthode utilisée par les tribunaux pour décider des litiges. Elle cherche à éviter qu’une influence puisse être exercée à l’égard du juge en dehors du processus ouvert et transparent qui se déroule au cours des auditions des tribunaux. C’est par les moyens qu’elles font valoir à propos de la preuve administrée devant le tribunal et des règles de droit applicables que les parties peuvent chercher à influencer la décision du juge, et non en lui procurant un avantage en parallèle au processus judiciaire établi par la loi. Enfin, l’avantage procuré à un juge constitue une forme particulière de pression qui compromet son indépendance.
La prohibition de la corruption s’intéresse à tous les aspects du pouvoir détenu par le juge et au prestige que lui procure sa charge. On peut ainsi identifier plusieurs situations dans lesquelles un avantage procuré à un juge pose problème au plan déontologique:
- lorsqu’il s’inscrit dans une démarche visant à influencer, directement ou indirectement, l’exercice du pouvoir qu’il détient;
- lorsqu’il sert à le gratifier, ou à gratifier un tiers lié au juge, en raison d’une décision favorable qu’il a rendue dans le cadre de ses fonctions;
- lorsqu’il vise à obtenir irrégulièrement une faveur ou un privilège de sa part, comme par exemple une date préférentielle de procès;
- lorsqu’il cherche un accès illégitime aux ressources mises à la disposition du juge pour l’exercice de ses fonctions, ou encore un degré de contrôle sur ces ressources;
- lorsqu’il a pour effet de moduler l’exécution des fonctions du juge, par exemple en les retardant ou en les accélérant délibérément;
- lorsqu’il détourne le juge de l’exercice de ses fonctions.
La forme de l’avantage importe peu. Le versement de sommes d’argent ou la remise de biens à un juge constitue l’exemple classique de la corruption, mais il n’est pas nécessaire que l’avantage soit de nature monétaire. Il peut prendre la forme de services qui lui sont rendus, d’un privilège qui lui est accordé par rapport à d’autres personnes, d’une perte ou d’un préjudice qui lui sont évités. L’avantage n’a pas nécessairement à être substantiel ni à être suffisant, dans l’esprit des tiers comme dans celui du juge, pour produire un effet sur l’exercice des fonctions judiciaires."