Analyse de la décision Ward c. Québec (Jérémy Gabriel)

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cgelinas
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Tout d'abord, c'est le vendredi 29 octobre 2021 que nous avons appris le verdict des 9 juges de la Cour suprême du Canada à l'effet que Mike Ward avait gagné, contre Jérémy Gabriel.


Décompte de la décision

Majorité (pour Mike Ward) = 5
  • Le juge en chef Wagner et la juge Côté ont accueilli l’appel. Ils ont déclaré que les propos de M. Ward n’avaient pas contrevenu à la Charte québécoise (avec l’accord des juges Moldaver, Brown et Rowe)
Dissidence (pour Jérémy Gabriel) = 4
  • Les juges Abella et Kasirer auraient rejeté l’appel. Selon eux, les propos de M. Ward contrevenaient à la Charte québécoise et étaient par conséquent discriminatoires (avec l’accord des juges Karakatsanis et Martin)

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Lien vers le texte intégral de la décision.


Lien vers le registre des interventions à la Cour suprême ainsi que le document soumis par Julius Grey.


Déclaration de Jérémy Gabriel au reportage de Noovo.


En appel de la Cour d’appel du Québec
Décisions des tribunaux inférieurs

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Avant le prononcé de la décision en faveur de Mike Ward, Sylvie Gabriel, la mère de Jérémy Gabriel avait fait suivre un vidéo dans lequel elle rappelle pourquoi cette cause est si importante.


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Me Stéphanie Fournier, l'avocate pour la Commission des droits de la personne et de la jeunesse a déclaré, en point de presse que "les juges majoritaires ont CHANGÉ LES RÈGLES DU JEU" et qu'ils "ont emmené un nouveau cadre juridique qui n'existait pas avant".

C'est la première fois, spécifiquement que cette question-là des propos discriminatoires, de la portée juridique ou de la protection contre les propos discriminatoires était présentée à la Cour suprême du Canada.

Cette décision amène donc bel et bien un nouveau cadre juridique alors, naturellement tout le monde voudra prendre le temps de bien lire la décision.


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En bref

Ward c. Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse


La Cour suprême conclut que le Tribunal des droits de la personne du Québec n’avait pas compétence pour entendre une cause concernant un humoriste qui s’est moqué d’un jeune chanteur adolescent bien connu ayant un handicap, parce qu’il ne s’agissait pas de discrimination visée par la Charte québécoise des droits et libertés de la personne.

La Cour explique également le cadre juridique applicable à un recours en discrimination mettant en cause le droit à la dignité d’une personnalité publique et la liberté d’expression d’un humoriste professionnel. Elle affirme qu’une personne raisonnable ne considérerait pas que les commentaires de l’humoriste incitent d’autres personnes à mépriser le jeune en question ou à détester son humanité.

L’affaire concerne l’humoriste professionnel Mike Ward, qui s’est moqué d’un jeune bien connu ayant un handicap, Jérémy Gabriel. Entre septembre 2010 et mars 2013, M. Ward a présenté un spectacle populaire intitulé « Mike Ward s’eXpose », dans lequel il se moquait de plusieurs personnalités publiques bien en vue du milieu artistique québécois. Monsieur Gabriel, qui étudiait à l’école secondaire et menait une carrière de chanteur, faisait partie de ces personnalités. Monsieur Ward a également publié des capsules vidéo dans lesquelles il se moquait d’artistes québécois. En 2012, les parents de M. Gabriel ont déposé auprès de la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (Commission) une plainte en leur propre nom et au nom de leur fils. La Commission a conclu qu’il y avait matière à recours en discrimination, et elle a porté la plainte contre M. Ward devant le Tribunal des droits de la personne du Québec (Tribunal) au nom de M. Gabriel. Devant le Tribunal, la Commission a soutenu que le spectacle et le contenu en ligne de M. Ward contrevenaient à la Charte québécoise des droits et libertés de la personne, sur la base du handicap de M. Gabriel. En défense, M. Ward a plaidé qu’il avait le droit, en vertu de la liberté d’expression garantie par la Charte québécoise, de dire ce qu’il avait dit au sujet de M. Gabriel.

Le Tribunal a donné raison à la Commission, concluant que M. Ward avait porté atteinte au droit que possède M. Gabriel à la sauvegarde de sa dignité, sans discrimination fondée sur son handicap, aux termes des articles 4 et 10 de la Charte québécoise. Le Tribunal a également conclu que les propos de M. Ward excédaient les limites de ce qu’une « personne raisonnable » pouvait tolérer au nom de la liberté d’expression prévue à l’article 3 de la Charte québécoise. En droit, une personne raisonnable est une personne fictive sur laquelle on se base, en tant que norme juridique, pour déterminer ce que penserait la personne typique ou comment elle se comporterait. Ce concept est appliqué dans de nombreux domaines du droit. L’appel formé par M. Ward à l’encontre de la décision du Tribunal a été rejeté par une majorité de juges de la Cour d’appel du Québec. Il a ensuite fait appel de cette décision à la Cour suprême du Canada.

La Cour suprême a conclu que le Tribunal n’avait pas compétence pour entendre la cause, parce qu’il ne s’agissait pas d’une plainte de discrimination.

Il ne s’agissait pas d’une plainte de discrimination.

Le juge en chef Wagner et la juge Côté ont rédigé les motifs de décision des juges majoritaires. Ils ont expliqué que, comme le Tribunal avait conclu que M. Gabriel avait été la cible des blagues de M. Ward en raison de sa notoriété et non de son handicap, et que la notoriété n’est pas un motif de discrimination interdit par la Charte québécoise, le Tribunal n’avait en conséquence pas compétence (c’est-à-dire le pouvoir) pour entendre la cause.

Les juges majoritaires ont souligné que les propos tenus par M. Ward au sujet de M. Gabriel ne menaient pas à une action en diffamation, mais plutôt à un recours en discrimination. Cette distinction est importante, car le Tribunal n’a pas le pouvoir de décider des actions en diffamation ou d’autres actions en responsabilité civile, étant donné que sa compétence se limite aux plaintes pour discrimination fondées sur la Charte québécoise. Le Tribunal peut entendre des litiges concernant des propos comme ceux prononcés dans la présente affaire, mais seulement s’il s’agit de propos qui, prétend-on, sont discriminatoires.

Cadre juridique

Les juges majoritaires ont poursuivi en expliquant le cadre juridique qui s’applique à un recours en discrimination mettant en cause le droit à la dignité d’une personnalité publique, d’une part, et la liberté d’expression d’un humoriste professionnel, d’autre part. Suivant la première exigence de ce cadre, une personne raisonnable ne considérerait pas que les propos tenus par M. Ward au sujet de M. Gabriel inciteraient d’autres personnes à mépriser celui-ci ou à détester son humanité. Ils ont écrit ce qui suit : « rire des caractéristiques physiques d’une personne peut être répugnant; ce l’est assurément lorsque la personne en question est un jeune en situation de handicap qui contribue avec détermination à la société. Mais, de tels propos n’incitent pas, du seul fait qu’ils sont répugnants, à détester ou à mépriser l’humanité de la personne ciblée. »

Selon la deuxième exigence de ce cadre, les juges majoritaires ont dit qu’une personne raisonnable ne pourrait pas considérer que les propos en cause entraîneraient vraisemblablement un traitement discriminatoire à l’endroit de M. Gabriel.

En conséquence, les juges majoritaires ont conclu que les propos « exploitent, à tort ou à raison, un malaise en vue de divertir, mais ils ne font guère plus que cela ».




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Ce qu'on observe, c'est une décision de la Cour suprême qui affecte bien plus large que le seul droit d'un humoriste à entretenir un narratif contre un enfant de 13 ans affecté par un handicap physique visible et invalidant mais ça ouvre la porte à ce que tout humoriste puisse faire très exactement la même chose, sans risquer de devoir répondre de ce "choix artistique" devant la justice.

Dès qu'une cible d'un sketch qui se dit humoristique vise une personne ayant une "notoriété", ce sera sans vraisemblablement sans conséquences légales pour l'humoriste.

Du coup, le juge Richard Wagner de la Cour suprême vient, en quelque sorte, de militariser l'humour, incluant l'humour noir, contre toute cible disposant d'une "notoriété". Un mot n'ayant d'ailleurs pas été balisé, dans la décision publiée par la Cour suprême.

Ça ouvre une infinité d'opportunités d'abus de nature potentiellement discriminatoires contre tout Canadien qui pourrait être ciblé par un humoriste ou son entourage qui le convainc de diriger son "humour" en ce sens.

Ainsi, nous assistons à une importante régression de la liberté d'expression.

Pourquoi?

Parce que quiconque dispose d'une notoriété (vraiment n'importe qui, en fait) choisira de s'auto-censurer de manière continuelle pour éviter de devenir la cible de l'opprobre émanant d'un humoriste qui invoque le prétexte de l'humour pour conduire un assaut social hautement destructif contre toute cible qu'il choisit, sans risque légal.

Alors non, la liberté de parole n'a absolument pas gagné.

C'est l'auto-censure sous une nouvelle bannière très discrète qui vient de gagner.

Le nouveau cadre juridique introduit par le juge en chef du Canada, Richard Wagner, à la Cour suprême serait-il un autre angle à l'assaut contre la cohésion de notre tissu social?




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