Les villes face au phénomène du «pas dans ma cour», en pleine crise du logement

Répondre
Avatar du membre
cgelinas
Administrateur
Messages : 7838
Enregistré le : 25 mai 2010, 22:07
Localisation : Lévis, QC
Contact :

11 décembre 2023


En pleine crise du logement, des voix s’élèvent dans les villes du Québec pour dénoncer le phénomène du « pas dans ma cour », qui retarde de nombreux projets immobiliers, mais aussi des ressources destinées aux personnes en situation d’itinérance, entre autres.

Or, l’urgence du contexte actuel ne doit pas servir de prétexte pour faire fi de consultations souvent nécessaires à l’obtention de l’acceptabilité sociale, préviennent deux expertes. Tour d’horizon.

Tirée de l’expression anglaise « not in my backyard », l’expression « pas dans ma cour » a fait l’objet de nombreuses études sociologiques au fil des années. Le concept vise à décrire l’opposition active de citoyens à l’arrivée près de leur domicile d’infrastructures qui pourraient bouleverser leur quotidien ou encore réduire la valeur de leur propriété.

« Il y a des gens qui ne sont pas du tout mal à l’aise de dire : c’est un bon projet, mais faites-le ailleurs », constate Marie-Ève Maillé, qui est conseillère stratégique en communication et médiation environnementales.

En 2017, elle a publié l’essai Acceptabilité sociale. Sans oui, c’est non avec Pierre Batellier, dont un chapitre complet porte sur le concept du « pas dans ma cour ». Une expression qui mérite d’être utilisée avec prudence, cette « étiquette » étant souvent utilisée pour « marginaliser un discours d’opposition qui peut avoir une valeur et une légitimité », nuance l’experte.

Une minorité bruyante

Dans les derniers mois, ce phénomène a notamment causé des maux de tête à des organismes venant en aide aux personnes en situation d’itinérance, dont le nombre a augmenté de 44 % au Québec en quatre ans, selon un dénombrement réalisé l’an dernier. C’est le cas de la Maison Benoît Labre, dans l’arrondissement du Sud-Ouest.

L’organisme a dû faire face dans les derniers mois à l’opposition de plusieurs familles inquiètes par son projet de centre d’injection et d’inhalation supervisées dans son quartier, à proximité d’un parc et d’une école primaire. Le nouveau centre d’accueil de l’organisme, qui comprendra également 36 logements pour sans-abri ayant des problèmes de dépendance, pourra finalement ouvrir en 2024 après avoir reçu le feu vers de la Direction de la santé publique, qui a jugé ce projet nécessaire dans un contexte de crise des surdoses.

« On a beaucoup d’appuis, mais on n’entend pas ces gens-là. On entend seulement ceux qui s’opposent au projet et qui sont très “vocaux” », soupire la directrice générale de la Maison Benoît Labre, Andréane Désilets. Une levée de boucliers qui aurait pu être évitée si les autorités effectuaient un meilleur « travail d’éducation » sur l’importance d’avoir davantage de ressources pour desservir les sans-abri au Québec, mais aussi pour déconstruire certains mythes, selon elle. « Les gens qui étaient contre le projet pensaient qu’on allait fournir de la drogue aux utilisateurs, alors que c’est faux », souligne Mme Désilets.

Plusieurs villes du Québec ont quant à elles fait face cette année à l’opposition de citoyens à des projets d’éoliennes, de plus en plus nombreux afin de soutenir l’augmentation de production d’énergie d’Hydro-Québec. « C’est la peur de l’inconnu », constate Jean-Guy Hamelin, maire de Saint-Michel, une petite municipalité de la Montérégie où de nombreuses éoliennes ont été aménagées dans les dernières années. « Il y avait une certaine crainte des citoyens comme quoi la valeur des maisons allait [se] dévaluer, mais ça n’a jamais été le cas chez nous », souligne M. Hamelin.

L’immobilier au ralenti

Les promoteurs immobiliers sont pour leur part nombreux à déplorer que le rythme de construction de logements soit actuellement ralenti par des citoyens qui s’opposent à la densification urbaine.

« C’est un phénomène qui est vraiment un problème », lance en entrevue le coprésident et fondateur de Pur Immobilia, Philippe Bernard, qui affirme avoir vu certains de ses projets immobiliers ralentis ou revus à la baisse à Saint-Lambert et à Montréal, en raison de l’opposition citoyenne à ceux-ci. « Il y a des projets qui sont bons pour la communauté, qui sont structurants et il y a beaucoup de ces projets qui sont bloqués par une poignée de citoyens, soupire le promoteur. Et la motivation première, c’est : “pas dans ma cour”. »

Le vice-président Développement immobilier chez Quorum, Maxime Laporte, a quant à lui dû se résoudre à renoncer, dès les premiers mois, à un projet de 111 logements qu’il souhaitait réaliser sur le site d’un vieux garage situé à proximité de la future station du Réseau express métropolitain (REM) de Sunnybrooke, dans l’ouest de l’île de Montréal, en raison de l’opposition de quelques dizaines de citoyens qui ont fait ouvrir un registre demandant la tenue d’un référendum sur le changement de zonage du site. Le conseil d’arrondissement de Pierrefonds-Roxboro a ensuite fait avorter le projet pour éviter une démarche consultative coûteuse.

« Tout le monde veut des logements, mais pas dans [sa] cour », déplore M. Laporte, selon qui les villes devraient disposer de la capacité de mieux « gérer ce mécontentement-là » afin que celui-ci n’empêche pas des projets immobiliers de prendre forme.

Acceptabilité sociale

Dans ce contexte, la présidente-directrice générale de l’Institut de développement urbain du Québec, Isabelle Melançon, voit d’un bon oeil un amendement inclus au projet de loi 31 du gouvernement Legault. Celui-ci aura pour effet de permettre aux villes où le taux d’inoccupation est de moins de 3 % sur le marché locatif d’autoriser des projets de trois logements ou plus sans tenir compte de leur réglementation d’urbanisme. Une mesure qui pourrait accélérer l’approbation de plusieurs projets immobiliers nécessaires pour contrer la crise du logement, estime Mme Melançon. « On nous demande de construire. Si on peut enlever une embûche, je pense que c’est une bonne chose. »

Or, les consultations publiques demeurent essentielles à la viabilité des projets, notamment afin d’éviter que ceux-ci soient contestés devant les tribunaux par des résidents après avoir vu le jour, relève Stéphanie Yates, professeure au Département de communication sociale et publique de l’Université du Québec à Montréal. En d’autres mots, « c’est beaucoup plus long de ne pas consulter et de faire face à une inacceptabilité sociale que de consulter et d’obtenir des projets responsables », résume-t-elle.

L’experte note d’ailleurs qu’on associe souvent à tort « une réaction de refus » de citoyens à des projets immobiliers à du « pas dans ma cour », alors que, dans les faits, « ils veulent seulement être informés » des répercussions qu’auront ceux-ci sur leur quotidien. « Si j’apprends du jour au lendemain que j’ai un édifice de 22 étages qui s’en vient à côté de chez moi, peut-être que je vais m’y opposer parce que je me demande qui va être là, quel type d’habitation ce sera et les impacts sur le trafic », énumère la professeure.

Ainsi, estime l’experte, la « recette de l’acceptabilité sociale », c’est de prendre le temps de « mieux informer, mais aussi de mieux écouter les appréhensions des citoyens, pour pouvoir trouver un terrain d’entente sur la réalisation de ces projets »



Source: MSN / Le Devoir



-- -- --
Claude Gélinas, Éditeur
chaudiere.ca

Blogues: Montréal | Québec | Lévis | Emploi | Éducation | Placements | Transports
Dons: PayPal | DonorBox Web: Achetez vos noms de domaines au plus bas prix...
Répondre