Jérémy Gabriel pourrait-il encore poursuivre Mike Ward?

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cgelinas
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La Cour suprême du Canada a finalement donné raison à Mike Ward dans le litige l’opposant à Jérémy Gabriel, non parce que ce qui a été dit n’était ni dégradant ni humiliant pour Gabriel, mais bien parce que le Tribunal des droits de la personne n’avait pas compétence en la matière, puisqu’il ne s’agissait pas de discrimination, selon les juges majoritaires, mais peut-être de diffamation... Malgré la défaite et le mauvais recours entrepris, la loi pourrait-elle changer en faveur de Jérémy Gabriel suite à la dissidence importante de la Cour suprême du Canada?

«Le recours en discrimination n’est pas, et ne doit pas devenir, un recours en diffamation. [...] Le Tribunal n’est pas habilité à trancher les recours en diffamation ni les autres recours en responsabilité civile, puisque sa compétence est limitée aux plaintes pour discrimination», écrivent le juge en chef Wagner et les juges Moldaver, Côté, Brown et Rowe (majoritaires).

La Cour suprême a été claire dans sa décision, malgré une dissidence très forte (quatre juges sur neuf n’étaient pas d’accord): les propos tenus par Mike Ward n’étaient pas discriminatoires, puisque celui-ci n’avait pas choisi de faire des blagues sur Jérémy Gabriel à cause de son handicap, mais bien à cause de sa notoriété. Cela ne constituait donc pas de la discrimination au sens de la Charte québécoise et, donc, le Tribunal des droits de la personne n’avait pas compétence en la matière:

«En l’espèce, G a fait l’objet d’une distinction en ayant été exposé à la moquerie dans le spectacle et les capsules humoristiques de W. Toutefois, considérant la conclusion du Tribunal selon laquelle W n’a pas choisi G à cause de son handicap, mais bien parce qu’il est une personnalité publique, cette distinction n’est pas fondée sur un motif prohibé.»

Par ailleurs, les juges laissent présager dans leur jugement qu’il pourrait s’agir ici d’un cas de diffamation. Ainsi, on se rend maintenant compte qu’on n’a pas pris le bon recours – oups! –, presque sept ans de procédures plus tard. Ça nous amène à la grande question: Jérémy Gabriel pourrait-il poursuivre Mike Ward en diffamation pour les propos possiblement diffamatoires qu’il a tenus envers lui?

Je ne crois pas, et voici pourquoi.

En vertu du Code civil du Québec, la majorité des recours civils qui visent à faire valoir un droit personnel ont une prescription extinctive de trois ans, ce qui limite le délai pour faire valoir un droit. En fait, si on veut imager la prescription, on la compare à une épée de Damoclès, qui ne restera pas indéfiniment au-dessus de la tête de quelqu’un qui pourrait être poursuivi. Il y a toutefois des exceptions à cette prescription triennale, par exemple en matière de diffamation, où elle est réduite à une année.

En effet, le recours de Jérémy Gabriel en diffamation serait probablement prescrit.

Il est vrai que la loi octroie à un demandeur un délai de trois mois de grâce pour poursuivre un défendeur suite à un jugement permettant de constater qu’il a utilisé le mauvais tribunal. Or je crois qu’en l’espèce, on ne peut appliquer ce délai de grâce de trois mois, puisqu’au moment où Gabriel a intenté son action en discrimination (délai de prescription de trois ans), son recours en diffamation (délai de prescription d’un an) était probablement déjà prescrit, et que l'on ne pourrait donc accorder de délai de grâce.

En terminant, il faut se rappeler qu'il est très difficile, pour une personnalité publique, d'entreprendre un recours en diffamation, puisqu’une personne qui s’expose dans le public doit assumer cette position et accepter la moquerie. Par contre, il s’agissait ici d’un enfant qui n’avait peut-être pas compris tous les enjeux entourant le fait d’être une personnalité publique. Méritait-il d’être bien protégé?

Une bonne question, que beaucoup de gens se posent. Cependant, le droit actuel et la Loi sur la protection de la jeunesse ne protègent pas de la moquerie du public les enfants qui sont des personnalités publiques. L’enfant qui est dans la construction de sa personnalité est sûrement plus affecté qu’un adulte majeur et est moins équipé pour faire face à ce tourbillon.

Le législateur ne sera peut-être pas sourd à une dissidence qui est très forte dans cette décision, puisque presque la moitié des juges pensaient qu’on devait protéger un enfant, surtout un enfant handicapé qui est dans le public:

«Cette affaire concerne le droit des personnes vulnérables et marginalisées, particulièrement les enfants handicapés, de ne pas être l’objet d’humiliation, de cruauté, d’intimidation et de dénigrement publics les ciblant de façon particulière sur la base de leur handicap, ainsi que l’atteinte dévastatrice à leur dignité qui en résulte. La question en litige consiste à décider si un enfant handicapé a perdu sa protection contre la discrimination et le droit de ne pas être l’objet d’humiliation et d’intimidation publiques du seul fait qu’il est bien connu», écrivent les juges Abella, Karakatsanis, Martin et Kasirer (dissidents).

On a déjà vu des cas comme l’affaire Suzanne Thibodeau, où les juges de la Cour suprême du Canada avaient été divisés également et n’avaient pas donné raison à Mme Thibodeau dans son jugement, mais où le législateur avait quand même décidé de reprendre l’opinion des juges dissidents et avait changé la loi en conséquence.

L’affaire Jérémy c. Ward, bien qu'il y ait un gagnant et un perdant, nous aura peut-être appris, malgré le litige et le combat, qu’il faudrait mieux encadrer cette situation pour mieux protéger les enfants vulnérables qui sont des personnalités connues. Parce qu’encore une fois, malgré ce brouhaha, Jérémy Gabriel ne voulait pas souffrir des contrecoups du spectacle de Mike Ward et Mike Ward ne voulait certainement pas blesser un enfant vulnérable.




Source: Journal de Montréal




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