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La Francophonie, sérieusement?

Posté : 11 octobre 2018, 10:29
par cgelinas
On ne pourra pas reprocher à Michaëlle Jean de manquer de colonne vertébrale. Pour s’accrocher à son poste de Secrétaire générale de la Francophonie, elle s’accroche!

Larguée par son pays, et sa terre d’adoption, à 48 heures du combat le plus important de sa carrière, on attend déjà le moment ou elle règlera ses comptes avec Justin Trudeau, François Legault, la France, le Québec et ses médias.

Ceci étant dit, que ce soit par entêtement ou par engagement, Michaëlle Jean aura réussi à braquer les projecteurs sur les contradictions profondes au sein de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) et son manque de crédibilité.

Une opération «après moi le déluge» qui commence par sa rivale, la ministre des Affaires étrangères du Rwanda, Louise Mushikiwabo.

Le Rwanda un modèle pour la Francophonie?

Au sein d’un forum international qui se définit comme grand défenseur de la culture et la langue française, mais aussi de la démocratie et des droits de la personne, on oserait imaginer que le rôle de Secrétaire général ne pourrait être brigué que par un pays qui peut servir de modèle.

Il est clair aujourd’hui que le président de la France en a décidé autrement.

Dans une grande manœuvre politique qualifiée de «coup de poker», Emmanuel Macron a choisi en mai dernier la ministre des Affaires étrangères du Rwanda. Tous ont compris ici qu’il s’agissait pour la France de consacrer le dégel de ses relations avec le Rwanda suite au génocide de 1994, et de réaffirmer du même coup son influence en Afrique francophone.

Or voilà, le Rwanda mérite-t-il un tel piédestal sur la scène internationale? Louise Mukishiwabo, véritable protégée du président Paul Kagame, est-elle apte à porter les valeurs fondamentales de la Francophonie?

Malheureusement, poser la question, c’est y répondre.

Non seulement est-ce que le Rwanda a banni le français de l’administration et de l’éducation publique au profit de l’anglais, le régime Kagame est loin d’être un modèle démocratique.

Le pays des 1000 collines est relégué au 156e rang sur la scène internationale pour la liberté de presse, et au 111e rang au chapitre de la démocratie.

Pendant 10 ans comme porte-parole internationale d’un régime régulièrement montré du doigt pour ses exactions, la répression de ses dissidents politiques, comment Louise Mushikiwabo pourra-t-elle invoquer l’autorité morale nécessaire auprès des États membres de la Francophonie?

Ces questions, de nombreux pays membres de l’OIF se la sont posée. Mais à l’heure de ramener le Secrétariat général sous le giron de l’Afrique, de telles nuances semblent soudainement bien secondaires.

L’Arabie saoudite, le loup aux portes de la bergerie

La Francophonie n’en est pas à une contradiction près.

Comment expliquer qu’elle compte parmi ses membres observateurs des pays qui n’ont qu’un lien marginal avec le fait français. Sérieusement, qu’est-ce que l’Ukraine, la Corée du Sud, le Mexique, l’Uruguay ont à faire comme membres observateurs de la Francophonie, si ce n’est de tenter de profiter de cette instance multilatérale pour avancer leurs propres intérêts nationaux? Et voilà que l’OIF doit se prononcer sur l’adhésion de l’Irlande!

Comme l’a récemment affirmé Emmanuel Macron, il faut croire que parler l’anglais (ou toute autre langue) renforce la Francophonie.

Mais là où le bât blesse... c’est quand on pense que l’OIF sera appelée à se prononcer enfin sur l’adhésion de l’Arabie saoudite à titre de membre observateur.

La Francophonie ayant admis les Émirats arabes unis en 2010, un autre beau fleuron du respect des droits de la personne, on ne peut pas reprocher à Riyad d’avoir tenté sa chance.

Le débat ne date pas d’hier: déjà en 2016, les pays membres de la Francophonie n’avaient pas osé statuer définitivement sur l’adhésion de l’Arabie saoudite. Comme si l’absence de respect des droits des femmes, la répression violente de toute dissidence, son rôle dans le conflit au Yémen et le statut marginal du français ne suffisaient pas à oser dire Non!

C’est ainsi qu’alors que Raïf Badawi en est à sa 2310e journée d’emprisonnement, que nombre de militantes pour les droits des femmes, dont sa sœur, languissent toujours en prison, et que les soupçons pèsent sur le régime saoudien pour la disparition, voire l’assassinat, du journaliste Jamal Khashoggi en Turquie, les chefs d’État et de gouvernement de la Francophonie vont oser «débattre» de l’adhésion de l’Arabie saoudite.

Disons qu’en 2018, ils ont placé la barre assez basse quant au respect des droits fondamentaux.

Les intérêts du Canada avant tout

Il sera certes facile pour le Canada de s’opposer à l’adhésion de l’Arabie saoudite, après tout, ça va déjà assez mal sur ce front. À moins bien sûr qu’Ottawa ne troque une position conciliante pour une fin au conflit ouvert qui l’oppose au régime de Riyad depuis cet été.

Quant au choix de la Secrétaire générale, le premier ministre Trudeau pourra invoquer la «cohésion de la Francophonie», voire citer en exemple le Rwanda comme modèle d’émancipation des femmes en Afrique.

Mais la réalité, c’est qu’il aura troqué la candidature de Michaëlle Jean pour des appuis dans la campagne du Canada au Conseil de sécurité des Nations Unies.

Comme quoi la Francophonie, cette instance qui voulait tourner la page sur les lendemains douloureux de la colonisation, finit toujours par davantage servir les intérêts de ses pays membres, plutôt que ses idéaux humains et démocratiques.


Souirce: TVA Nouvelles