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Quand la charité sert à camoufler l’injustice

Posté : 18 décembre 2015, 11:02
par cgelinas
Vers les années 1970, au cours d’une conférence que je donnais au Conseil des Oeuvres du grand Montréal (Le Centraide actuel), je posais les deux questions suivantes : Les nombreux dollars que vous investissez dans la charité présentement, qu’est-ce qu’ils auront changé dans 10 ans ? Et est-ce qu’il faut que la pauvreté demeure pour que la charité demeure ?

Je pense que ces deux questions sont encore plus pertinentes aujourd’hui.

Camus écrivait déjà : « Les riches en avaient assez de l’entraide, ils ont inventé la charité ! ». En Estrie, la Grande Guignolée avec tout son battage publicitaire et ses très nombreux bénévoles en tuques du Père Noël a rapporté le joli montant de 160 000 dollars. Je vous fais tout de suite remarquer que ce montant est à distribuer dans une large partie de la population et qu’il représente à peu près le tiers du salaire annuel d’un médecin spécialiste.

Un traitement médical homéopathique.

Les regroupements, les mouvements, les actions charitables qui cherchent à atténuer les inégalités sociales n’ont pas proliféré pour compenser les effets de la volonté divine. C’est notre charpente socio-économique qui les a rendues nécessaires. Les lois sont toujours faites au profit de ceux qui les font. Les inégalités salariales sont faramineuses. Elles sont déterminantes, elles sont une cause directe de la pauvreté. Quelques pays font une différence. La Finlande, par exemple, dont les disparités salariales sont beaucoup moins indécentes que les nôtres, vient d’instaurer un revenu annuel garanti pour tous qui suffira à rendre inutiles les compensations charitables.

Chez nous, avec le temps, la mission régularisatrice de l’État a fondu et continue de fondre à vue d’oeil. Chez nous, la charité devient un traitement de plus en plus nécessaire à la réduction et au camouflage des inégalités sociales. Chez nous, le privé envahit graduellement le territoire plus égalitaire de l’État et s’accommode très bien des impasses socio-économiques d’une large part de la population. Le tout est bien enveloppé dans un langage inoffensif et déculpabilisant.

En plus, cette approche au large problème de la pauvreté rend pratiquement impossible toute forme de contestation sociale. D’abord parce les formes d’aide sont individuelles et n’incitent aucunement aux regroupements qui pourraient avoir une quelconque influence. Ensuite parce que l’ensemble de la démarche charitable rend invisible le lien entre la pauvreté et ses causes.

J’aimerais que sur les boîtes des « guignoleurs » ou ailleurs, on écrive en gros caractères : « À bas les abris fiscaux ! » ; « À bas les profits non-imposables des multinationales ! » ; « À bas les primes de séparation faramineuses ! » ; « À bas les salaires des médecins spécialistes ! » ; « À bas les profits des banques ! » ; À bas les entourloupettes de la fiscalité, etc.

Une dernière question : comment se fait-il qu’un haut salarié qui quitte son poste bénéficie d’une imposante prime de séparation et qu’un petit salarié qui perd son emploi attende un certain nombre de semaines pour recevoir ses prestations, que ces prestations soient temporaires et qu’elles s’ajustent à quelque 60 % de son salaire ? Ce travailleur est certainement mûr pour un panier de Noël. N’est-ce pas ?


Source: Le Devoir