En s’inspirant des actions menées par l’Union européenne, le Canada compte lutter contre les discours haineux en mettant en place une nouvelle législation visant les médias sociaux.
Cette mesure fait partie des prochaines tâches du nouveau ministre du Patrimoine canadien, Steven Guilbeault.
On veut une plus grande responsabilisation des géants du web, affirme le nouveau membre du Cabinet de Justin Trudeau, qui a accordé une entrevue à Radio-Canada.
Concrètement, Ottawa veut exiger que toutes les plateformes éliminent le contenu illégal, y compris le discours haineux, dans les 24 heures, sous peine de sanctions importantes. Cette volonté figure dans la lettre de mandat remise par Justin Trudeau au député montréalais, élu en octobre dans la circonscription de Laurier–Sainte-Marie.
Les messages visant la radicalisation, l’incitation à la violence ou l’exploitation des enfants ainsi que la création ou la diffusion de propagande terroriste sont aussi dans la mire du gouvernement fédéral.
Cette initiative pourrait prendre la forme d’une loi ou de règlements, précise Steven Guilbeault, qui assure avoir déjà eu l’occasion d’aborder ces sujets avec des élus européens, peu avant son arrivée sur la scène politique, lors de l’écriture de son dernier livre, Le bon, la brute et le truand.
Aucun échéancier n’est cependant avancé pour le moment. C’est une préoccupation du gouvernement et il faut se faire un plan de match. L'idée n'est pas de réinventer la roue. On va regarder ce que d'autres font et il faudra l'adapter à notre réalité, explique-t-il.
Des sanctions « probablement » d’ordre financierFacebook prête à discuter avec Ottawa
Facebook, qui a été contactée par Radio-Canada, dit accueillir de manière favorable la possibilité d’en discuter avec les décideurs politiques canadiens. Nous partageons le désir du gouvernement d’assurer la sécurité des gens et d'agir de manière proactive sur les contenus qui enfreignent nos standards lorsque nous en prenons connaissance, soutient Erin Taylor, porte-parole de l'entreprise américaine.
Ces nouveaux règlements devraient protéger la population tout en soutenant l’innovation, l’économie numérique et la liberté d’expression, ajoute-t-elle, en parlant d'enjeux complexes.
Twitter, de son côté, n'a pas voulu émettre de commentaires.
L’Europe, à ce sujet, a déjà pris les devants. Depuis plusieurs années, l’Union européenne (UE) hausse le ton contre ces médias sociaux et leur enjoint d’agir rapidement pour éliminer, notamment, les contenus haineux.
Le Parlement européen avait également convié, en mai 2018, le patron de Facebook, Mark Zuckerberg, afin qu'il vienne s’expliquer concernant une fuite massive de données personnelles.
Ce volet de la protection des données fait aussi partie de la mission du ministre Guilbeault. La création d’une taxe de 3 % visant les géants du web, promise en campagne électorale, figure quant à elle au mandat du ministre des Finances, Bill Morneau.
Désormais, affirme Steven Guilbeault, le Canada doit lui aussi aller de l’avant pour lutter contre les discours haineux dans la sphère numérique. Et ce, avec ou sans la coopération d’autres pays, comme les États-Unis. Est-ce qu’on va s’entendre avec tout le monde? Je ne sais pas. Est-ce qu’il faut s’entendre avec tout le monde pour agir? Je ne pense pas, clame-t-il.
Les sanctions envisagées à ce jour seront probablement d'ordre financier, souligne le député libéral.
Des entreprises comme Facebook, Twitter ou YouTube ont pourtant déjà annoncé leur intention d’agir. Je ne dirai pas que c’est de la poudre aux yeux, mais c’est insuffisant, estime le ministre.Jusqu’à maintenant, les grands réseaux n’ont pas été aptes à répondre adéquatement, et ce n’est pas faute de leur avoir demandé. Après l’étape du volontarisme, il y a l’étape réglementaire ou législative.
Steven Guilbeault, ministre du Patrimoine canadien
Des statistiques présentées par l’Union européenne ont pour leur part révélé qu’en 2018, le contenu haineux avait été éliminé en moyenne dans 72 % des cas. Un chiffre en nette progression par rapport aux années précédentes.
L'idée d'interdire l'anonymat sera exploréeDes consultations à venir
Avec cette mesure, le ministre Steven Guilbeault espère obtenir l’appui de l’ensemble des partis fédéraux, qu’il compte consulter lors de l’élaboration de cette action canadienne. D’autres ministères, sur le plan de l’innovation et de la justice, seront également concernés, et des discussions avec des experts auront lieu, précise-t-il.
Cette intention est saluée par la députée québécoise Christine Labrie. Cette dernière a récemment dénoncé l’intimidation numérique envers les femmes à l’Assemblée nationale, avant de porter plainte à la suite de messages haineux reçus sur les médias sociaux.
L’élue de Québec solidaire reste cependant perplexe quant à l’application d’une telle mesure, notamment lorsque ces messages sont envoyés en privé. Ce qui est le cas la plupart du temps, note-t-elle. Je vois mal comment Facebook ou Twitter pourraient agir, avance la députée de Sherbrooke, en disant espérer des actions à la source.
Il faut responsabiliser les plateformes, mais aussi les auteurs [de ces messages]. Il faut des conséquences pour eux, poursuit-elle, en évoquant aussi le fléau de l’anonymat.
En début d’année, des députés français avaient d’ailleurs émis l’idée de forcer Twitter à rendre l’identification obligatoire. Interrogé par Radio-Canada, le gouvernement Trudeau n'avait pas fermé la porte, mais réclamait une collaboration des acteurs du web.
On va explorer cette piste, souligne Steven Guilbeault, tout en mentionnant qu'une campagne de sensibilisation et d'information pourrait être mise en place.
Si seulement un pays le demande, il faut oublier ça, réagit l’expert en médias numériques Bruno Guglielminetti. En revanche, si l’Europe et le Canada font front commun, on parle d’un grand marché, ajoute-t-il.De façon générale, les personnes les plus irrespectueuses écrivent de manière anonyme. Personne dans la rue ne m’a jamais dit qu’il haïssait ma face.
Steven Guilbeault, ministre du Patrimoine canadien
Globalement, résume Nadia Seraiocco, chargée de cours à l’École des médias de l’UQAM, les gouvernements doivent faire preuve de fermeté face à ces plateformes numériques.
Il faut avoir du mordant, sinon on n’arrivera à rien, pense-t-elle. Il faut que les États, qui sont en faveur de la liberté d’expression, agissent ensemble pour réguler le web.
Source: Radio-Canada