Au chemin Roxham, la frontière comme un mur

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cgelinas
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13 avril 2023


Trois époques, trois façons de vivre la frontière. Le Devoir a parlé à des demandeurs d’asile affectés différemment par les politiques frontalières canadiennes, avant, pendant et après le chemin Roxham.


« Devoir passer de pays en pays comme ça, ce n’est pas une vie », dit l’homme dont l’image est d’abord un peu floue sur l’appel vidéo. Lui et sa femme étaient à quelques jours d’être prêts à compléter leur parcours, poursuit-il une fois que la connexion Internet se stabilise. Après neuf mois sur la route de Montréal, Pierre avait enfin amassé assez d’argent, en travaillant en Indiana, pour payer la fin du long trajet.

Cet Haïtien d’origine comptait demander l’asile au Canada en passant par le chemin Roxham, mais depuis que de nouvelles restrictions sont en place à la frontière, il est « très inquiet ». Son seul espoir découle du fait qu’un membre de sa famille habite déjà au Canada, l’une des exceptions encore applicables à l’Entente sur les tiers pays sûrs.

Ottawa et Washington se sont en effet entendus en mars dernier pour appliquer cette entente à toute leur frontière terrestre, ce qui fait en sorte qu’un migrant intercepté à n’importe quel endroit le long de la frontière (dont au chemin Roxham) sera refoulé aux États-Unis.

Pierre a demandé qu’on taise son nom de famille par crainte de nuire à son dossier d’immigration quand — et si — il parviendra à venir au Canada, exprime-t-il.

À l’instar de milliers d’autres Haïtiens, il a commencé son périple à la recherche de sécurité par le Chili. Ce pays longiligne d’Amérique du Sud lui a octroyé un visa de travail. Là-bas, il s’est formé à la mécanique automobile, a décroché un permis pour conduire des chariots élévateurs et a appris l’espagnol, ce qui le rend trilingue. « J’avais légalisé tous mes papiers », répète-t-il à plusieurs reprises durant l’entrevue — c’est-à-dire qu’il avait fait reconnaître ses titres afin de pouvoir les utiliser à Montréal.

Il a rencontré sa femme au Chili, mais celle-ci n’y avait pas de statut permanent. « Ma femme ne pouvait pas demander un visa pour le Canada et voyager en avion », expose-t-il. Ils auraient ainsi pu demander l’asile à l’atterrissage à l’aéroport, comme l’ont fait 11 670 personnes au Québec en 2022.

Un trajet dangereux

C’est donc par la route la plus longue — et la plus risquée — qu’ils sont passés, traversant neuf pays, dont la Colombie et le bouchon du Darién, qui la sépare du Panama. « Les gens ont volé presque toutes les choses que nous avions là-bas, même notre argent », lâche Pierre.

« À notre arrivée aux États-Unis, c’était vraiment compliqué. Mon objectif était de rentrer au Canada. Je n’avais pas d’argent, je n’avais pas de boulot », explique d’abord Pierre. Ils ont rejoint un ami en Floride, qui leur a prêté de l’argent, pour se rendre ensuite en Indiana. Dans un quartier au nord d’Indianapolis, il a trouvé un petit boulot pour rembourser cette dette et payer les billets d’autobus jusqu’à Plattsburgh.

« Et là, j’ai appris que la frontière était fermée. Oh mon Dieu ! Ma femme a beaucoup pleuré », dit Pierre. Il s’inquiète beaucoup pour elle, car elle est enceinte de près de six mois et n’a toujours pas reçu d’attention médicale. Aucune échographie n’a vérifié l’état de santé du bébé, précise-t-il.

Il ne disposait alors d’aucune information précise sur les changements à la frontière. Aujourd’hui, il espère tout de même bénéficier de l’une des rares exceptions à l’Entente sur les tiers pays sûrs, qui ne s’applique pas si une personne a déjà un membre de sa famille au Canada.

C’est maintenant une course aux documents originaux, notamment son certificat de naissance haïtien, qui est entamée pour prouver ce lien de parenté. « Même pour ces gens qui font légitimement partie des exceptions [comme Pierre], trouver des documents pour le démontrer à 100 % n’est pas évident. Trouver ensuite des gens pour aller chercher leurs documents n’est vraiment pas facile », indique Frantz André, du Comité d’action des personnes sans statut.

Plusieurs institutions gouvernementales d’Haïti sont tout simplement inaccessibles, comme les Archives nationales et la Direction centrale de la police judiciaire.

Un pays en crise

Haïti connaît non seulement de graves pénuries de carburant, mais aussi d’eau potable et de nourriture. Et la violence liée aux gangs s’est aggravée depuis l’assassinat du président Jovenel Moïse en juillet 2021.

Le gouvernement canadien reconnaît cette crise politique, sécuritaire et humanitaire en fournissant notamment une aide militaire. Le mois dernier, les Nations unies et leurs partenaires ont d’ailleurs sonné l’alarme au sujet de la situation humanitaire dans le pays, parlant d’une dégradation « sans précédent ».

Depuis l’accélération des arrivées irrégulières de demandeurs d’asile à la frontière du Canada en 2017, Haïti est le premier pays de provenance de ces derniers. Leur taux d’acceptation est d’environ 30 %, soit plus bas que celui des demandeurs passés par Roxham en général.

Ces milliers d’Haïtiens déboutés se retrouvent en suspens sur le territoire. D’un côté, le Canada a rejeté leur demande d’asile ; de l’autre, il ne les renvoie pas dans leur pays d’origine pour des raisons de sécurité. Cette mesure, appelée sursis administratif aux renvois, s’applique à des territoires comme la Syrie, la Libye, le Yémen, le Soudan du Sud, la Palestine et le Venezuela, où la situation actuelle met en danger la vie de la population dans son ensemble.

D’une part, plusieurs ont réclamé, notamment par une pétition à la Chambre des communes, la création de visas humanitaires pour les Haïtiens. D’autre part, en échange du nouvel accord avec Washington, Ottawa a accepté d’accueillir 15 000 immigrants « de l’hémisphère occidental » de plus par an « pour des motifs humanitaires », mais très peu de détails ont été annoncés jusqu’à maintenant.

« Je suis en attente », redit Pierre. Mais après tout ces efforts et ces sacrifices, plus question de rebrousser chemin.



Source: MSN / Le Devoir



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Pierre comptait demander l’asile au Canada en passant par le chemin Roxham, mais le passage n’est plus possible depuis le 25 mars dernier. -- © Ryan Remiorz La Presse canadienne
Pierre comptait demander l’asile au Canada en passant par le chemin Roxham, mais le passage n’est plus possible depuis le 25 mars dernier. -- © Ryan Remiorz La Presse canadienne
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Claude Gélinas, Éditeur
chaudiere.ca

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