Impact de l'immigration - Dépasser la pensée magique

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18 mai 2010

Benoît Dubreuil - Chercheur postdoctoral à l'Université du Québec à Montréal


Le vérificateur général révélait récemment des lacunes dans le processus de sélection des immigrants au Québec. Renaud Lachance soulignait notamment l'absence de vérification des dossiers et le fait que peu d'immigrants étaient sélectionnés en fonction de leur compétence professionnelle. Doit-on apporter des correctifs comme le propose le vérificateur? Oui. Il faut cependant être conscient que cela entraînera nécessairement une baisse du nombre d'immigrants sélectionnés chaque année par Québec. Cette baisse pourrait en inquiéter certains.

Depuis plusieurs années, le gouvernement du Québec et les commentateurs politiques présentent en effet l'immigration comme un remède au vieillissement de la population. La sélection de travailleurs qualifiés devrait notamment permettre de pourvoir les postes laissés vacants par les baby-boomers partant à la retraite. Commentant le rapport du vérificateur, Bernard Descôteaux affirmait que, pour «des raisons démographiques et économiques, il serait dommageable» de réduire le flux d'immigration (Le Devoir, 14 mai 2010). Qu'en est-il vraiment?

L'impact sur la démographie

Les immigrants reçus au Québec sont, à leur arrivée, plus jeunes (27 ans) que la moyenne québécoise (40 ans); on pourrait alors penser qu'une immigration plus nombreuse permet de rajeunir considérablement la population du Québec. La réalité est plus nuancée. Recevoir 10 000 immigrants de plus, par exemple, ne fait diminuer l'âge moyen du Québec que de 0,02 an par année. L'impact de l'immigration sur l'âge moyen est donc très faible. Dans un récent article paru dans les Cahiers québécois de démographie, le démographe Guillaume Marois a calculé qu'il faudrait recevoir 200 000 immigrants par année, soit quatre fois plus qu'actuellement, pour éviter que la part des 65 ans et plus ne dépasse 25 % de la population totale au cours du XXIe siècle.

Le faible impact de l'immigration s'explique par les quantités en jeu. Les 45 000 immigrants que nous recevons chaque année équivalent à environ 0,6 % de la population du Québec. Cet apport est nettement insuffisant pour renverser les tendances à l'oeuvre chez 99,4 % de la population. Cela ne signifie pas que l'immigration n'a aucun impact sur la démographie. Au contraire, elle a un impact considérable sur la taille totale de la population. Une population plus nombreuse ne permet cependant pas en elle-même de faire face au problème du vieillissement. Ce dernier est lié à la structure d'âge de la population qui n'est quant à elle que faiblement affectée par une immigration plus nombreuse.

Une autre erreur consiste à penser que l'immigration permet de rajeunir la population grâce à la plus grande fécondité des femmes immigrantes. S'il est vrai que la fécondité des femmes immigrantes est légèrement supérieure à celle des natives, cet écart n'est pas susceptible de renverser les tendances démographiques à l'échelle nationale. Le démographe Ayéko Tossou a évalué que la fécondité des immigrantes au Québec avait varié entre 2,2 et 2,8 entre 1976 et 1996. L'écart avec le taux de fécondité des femmes natives est réel, mais ne viendrait augmenter que de 0,1 l'indice de fécondité total au Québec.

L'impact sur l'économie

Depuis quelques années, le gouvernement insiste sur les formidables occasions créées sur le marché du travail par le vieillissement de la population. Selon Emploi-Québec, près de 700 000 emplois seront à pourvoir au cours des prochaines années. Ces évaluations sont fréquemment utilisées pour justifier nos politiques et recruter des candidats à l'immigration. Mais l'immigration permet-elle vraiment de satisfaire les besoins du Québec en main-d'oeuvre? On peut en douter.

D'abord, il faut noter que l'immigration ne fait pas qu'augmenter l'offre de main-d'oeuvre, elle accroît également la demande. Les immigrants ne sont pas seulement des travailleurs, mais aussi des consommateurs. Si, par exemple, l'immigration vient accroître la population du Québec de 10 % en quinze ou vingt ans, elle risque également d'accroître les besoins de main-d'oeuvre de plus ou moins 10 % dans le commerce, les soins de santé, etc. Le raisonnement est ici semblable à celui esquissé dans le cas de la démographie. Si l'immigration accroît incontestablement la taille totale du marché du travail, son impact sur la structure du marché du travail est nécessairement faible, parce que le nombre d'immigrants reçus est tout simplement trop bas pour renverser les tendances lourdes dans le reste de la population.

Avis partagés

Il faut ensuite se demander si ce faible impact de l'immigration sur l'économie est positif ou négatif. À ce sujet, les avis des économistes sont partagés. La théorie économique standard prédit que l'immigration a pour conséquence de réduire à court terme les salaires, en augmentant la concurrence sur le marché de l'emploi. À plus long terme, ces pertes sont compensées par de nouveaux investissements, produisant un effet global nul. Dans le cas canadien, les études (peu nombreuses) convergent vers ce résultat. Comme le rappelait le démographe Marc Termote au récent colloque de l'Institut de recherche en économie contemporaine, tout indique que l'impact de l'immigration sur la richesse par habitant et sur les salaires est marginal, bien qu'il puisse être significatif (positivement ou négativement) pour certains groupes.

Il faut aussi noter que l'impact de l'immigration sur l'économie varie largement en fonction des caractéristiques des immigrants et de leur période d'immigration. Par conséquent, il est difficile de déterminer l'impact des cohortes futures en extrapolant à partir des cohortes précédentes. Cela est d'autant plus vrai dans le cas du Canada et du Québec, où les performances économiques des immigrants se sont considérablement détériorées depuis le début des années 1990. Ce déclin est particulièrement clair en ce qui concerne les revenus. En 1980, un homme immigrant rejoignait la moyenne canadienne en 10 ans. En 2000, il n'obtenait que 80 % du revenu moyen après la même période.

Chute de revenus

En chiffres absolus, la chute du revenu moyen des immigrants récents (arrivés depuis moins de cinq ans) est particulièrement brutale. De 1980 à 2005, par exemple, le revenu moyen d'un immigrant récent avec un diplôme universitaire est passé de 48 541 $ à 30 332 $. Il est important de noter que ce déclin survient en dépit d'un taux d'emploi plus élevé qu'autrefois chez les immigrants récents. Ces données nous aident aussi à comprendre pourquoi il est difficile de prédire l'impact à long terme de l'immigration sur l'économie au Québec et au Canada.

Il est aussi difficile de prévoir l'impact de l'immigration sur les finances publiques. La baisse importante des revenus des immigrants depuis les années 1980 nous donne cependant des raisons d'être pessimistes. Des revenus moins élevés signifient moins de recettes fiscales pour l'État. En 2000, l'immigrant au Canada depuis dix ans payait en taxes et impôts environ 39 % de ce que payait le citoyen né au Canada (4706 $ contre 12 220 $). L'écart massif s'explique par un revenu plus faible et la fiscalité progressive du Canada. La situation s'est encore dégradée au cours de la dernière décennie.

Passer à autre chose...

Il semble y avoir un écart entre le discours officiel sur l'impact de l'immigration et les données économiques et démographiques. Comment expliquer cet écart? Il est probable que la rectitude politique, l'inculture économique et les considérations politiques y soient pour quelque chose. Pourtant, la réalité est simple. Globalement, l'immigration ne peut avoir qu'un impact marginal sur l'économie et la démographie.

Cet impact est à certains égards positif et à d'autres négatif, mais, dans tous les cas il est extrêmement difficile à prédire et à calculer. Dans ces conditions, le plus raisonnable pour les commentateurs et les décideurs est peut-être de tout simplement cesser de le prendre en considération dans la planification et la justification des politiques d'immigration.

***

Benoît Dubreuil - Chercheur postdoctoral à l'Université du Québec à Montréal


Source: Le Devoir
Claude Gélinas, Éditeur
chaudiere.ca

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