L’illusion des retombées économiques

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cgelinas
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Le concept même des retombées a peu de sens pour bon nombre d’économistes.

Elles servent surtout à justifier des dépenses très difficiles à vendre autrement.


Le rejet de la candidature de Québec dans la LNH offre un chapitre de plus dans le livre des doutes quant à la rentabilité du Centre Vidéotron. L’édifice, apprenait-on quelques jours plus tôt, a coûté 730 000 $ aux citoyens de Québec pour ses quatre premiers mois d’exploitation déficitaire. Le promoteur de spectacles Michel Brazeau prédit un gouffre financier.

N’avait-on pas pourtant promu ce joyau en faisant miroiter de généreuses retombées, Nordiques ou pas?

« Le concept même des retombées économiques ne fait pas de sens pour les économistes, estime Germain Belzile, maître d’enseignement en économie appliquée à l’école des HEC. À l’exception peut-être des économistes qui sont payés pour en produire. »

D’abord, pour l’absurdité du concept. « Vous embauchez 10 000 personnes pour creuser des trous, et 10 000 autres pour les remplir, illustre M. Belzile. Le résultat net, c’est que rien n’a été produit. Mais 20 000 personnes auront été payées et on aura généré de l’activité économique. Il y aura des retombées. Mais il y aura aussi une dette. »

Ensuite, parce que les dépenses pour un spectacle au Centre Vidéotron, par exemple, seront nécessairement réduites ailleurs. « Si vous achetez une voiture neuve à 25 000 $, vous n’allez pas dépenser l’argent ailleurs. À côté des retombées, il y a des « déretombées » pour les dépenses que vous ne faites pas. »

Un avis partagé par l’économiste américain Scott Niederjohn, qui a étudié l’impact des équipes sportives dans les centres urbains. « Le revenu disponible ne change pas, dit-il. Ce que les citoyens dépenseront pour un éventuel match de hockey, ils l’auraient dépensé en spectacle ou en cinéma. Ce ne sont pas de nouvelles retombées, ce n’est qu’un déplacement de dépenses. »

La même logique s’applique pour les commerçants autour de l’amphithéâtre. Ils verront leurs ventes augmenter, mais d’autres dans la ville verront les leurs diminuer de façon à peu près égale.

« La seule exception, ce serait des nouvelles activités économiques, par exemple si les Américains débarquaient en masse pour aller au Centre Vidéotron, estime Germain Belzile. Entre nous, ce n’est pas une forte probabilité. »

Le débat s’est posé pour le Grand Prix de F1. L’argument des retombées a justifié les 187 millions de dollars de fonds publics versés sur 10 ans à Bernie Ecclestone pour le maintien de l’événement à Montréal.

Or, avant même que les moteurs vrombissent sur l’île Sainte-Hélène, cette étude est venue réduire à 42 millions les retombées de l’événement, soit la moitié des 89 millions estimés par le Québec depuis 2009, et beaucoup moins que les 71 millions avancées par Ottawa.

Le confrère Gérald Fillion explique clairement comment la méthodologie a été bonifiée pour arriver à des données plus rationnelles, en s’en tenant aux dépenses des visiteurs étrangers.

Mais même là, il y a un hic. Il y a deux ans, le site AirBnB a publié une étude où il chiffrait à 55 millions de dollars ses retombées en un an à Montréal. Des chiffres qui provenaient grosso modo des dépenses effectuées par les visiteurs.

Or, si quelqu’un vient de l’extérieur pour le Grand Prix et prend une chambre sur AirBnB, tant l’événement sportif que le site d’hébergement vont s’attribuer les retombées. C’est pourtant une seule et même dépense. Certes, le fait de payer son hébergement moins cher peut inciter à rester plus longtemps et à dépenser l’argent dans d’autres secteurs, comme AirBnB l’avançait. Mais au final, l’assiette reste sensiblement la même.

Cet aspect « multiplication des pains » permet à chacun de gonfler ses retombées. « Si on additionnait les retombées économiques par les différentes études, on arriverait à un multiple assez grand du PIB, estime M. Belzile. C’est un concept qui ne fait tellement pas de sens qu’on peut inclure toutes sortes d’hypothèses. »

Comparons justement le Centre Vidéotron et l’amphithéâtre Cogeco, à Trois-Rivières. Pour le premier, sans le retour du hockey, les retombées promises étaient estimées à 500 millions sur 40 ans. Faites le calcul, la moyenne est donc de 12,5 millions par année.

Quant à l’amphithéâtre Cogeco, qui présente aussi des spectacles, il a été présenté comme générant des retombées de… 18 millions par année. Soit 50 % plus de retombées que celui de Québec. Pas mal pour un amphithéâtre avec cinq fois moins de sièges.

Un « attrape-nigaud »

Si les retombées sont un concept élastique et invalide, pourquoi persiste-t-on à s’en servir pour vendre chaque projet ou événement? « Beaucoup de méconnaissance et d’ignorance, juge M. Belzile. Les élus y trouvent un avantage aussi, ils sont capables de justifier une dépense autrement beaucoup plus difficile à justifier. »

« Ce qui est encore plus frustrant, c’est que le gouvernement lui-même demande à des organismes de faire des études sur les retombées pour obtenir des subventions, ajoute-t-il. C’est un concept qui est passé dans l’imaginaire collectif comme ayant du sens. Mais c’est un attrape-nigaud. »

Quelle variable faudrait-il alors privilégier pour mesurer le potentiel d’un projet ? « La grande question, c’est d’abord: est-ce une bonne dépense ? La raison pour laquelle on fait une dépense, c’est parce qu’on le veut ou qu’on en a besoin. »

Ensuite, dit-il, on peut se demander si cette dépense va générer des profits. « Si on investit moins de ressources dans la production que ce qu’on retire, ça va générer des profits. Ça devrait être la seule variable qui compte. Mais si la seule façon de rendre l’amphithéâtre rentable, c’est une subvention annuelle de la ville de Québec et les 200 millions du gouvernement du Québec, j’ai de gros doutes sur son caractère profitable. »

Une question qu’il faudra aussi se poser la question sur les millions de la F1, versés à un promoteur qui considère Montréal comme un « trou à rats ». Combien d’autres génuflexions devant le pape d’un sport d’un autre siècle, en perte de vitesse et de pertinence? C’est un autre débat.


Source: L'Actualité
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Claude Gélinas, Éditeur
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