Gourmand, le fisc québécois? Vous n'avez rien vu!

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cgelinas
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Au début des années 2000, la délégation française du bureau avait quelque chose de pittoresque. Elle était constituée par un (unique) spécimen un peu déluré, Catherine, une représentante publicitaire dont les phrases étaient abondamment ponctuées des mots «merde», «putain», «bordel» et «enfoiré». On ne s’ennuyait pas avec elle dans les parages.

Depuis, la présence française est devenue familière. Tenez, ma nouvelle patronne est originaire de l’Hexagone, elle a atterri sur un siège occupé auparavant par une autre de ses compatriotes. Les Français sont si nombreux sur l’étage que certaines de leurs expressions typiques commencent à faire leur chemin dans le vocabulaire de leurs collègues québécois.

Du coup (aaaah!), je n’ai pas été étonné de faire la rencontre, lors d’un dîner-conférence, d’un notaire et fiscaliste qui se spécialise dans les successions transfrontalières France-Québec. Lorsqu’il a choisi ce sujet pour son mémoire de maîtrise en fiscalité au début des années 2000, Stéphane Larose ne se doutait pas qu’il s’engageait dans un créneau d’avenir.

Le notaire m’a fait réaliser comment le fisc français pouvait être vorace lors d’une succession. Et comme le public concerné est important, pourquoi ne pas en faire une chronique? Cela permettra aussi aux Québécois de constater comment le fisc provincial n’est pas le Gargantua qu’on leur dépeint souvent. Et comment il faut se méfier lorsqu’on prépare une succession qui empiète en territoire international.

Rappelons d’abord quelques éléments de base. Les règles de répartition des biens lors d’une succession sont régis par le code civil. Dans le cas qui nous occupe, pour déterminer quel code civil qui s’applique, entre celui de la France et celui du Québec, on doit s’attarder au lieu de résidence du défunt, à celui celui des héritiers et au lieu où sont situés les biens.

Ensuite, ce sont les règles fiscales de la juridiction qui vont s’appliquer. Il peut y avoir des déboublements, qui sont compensés par la suite grâce à des ententes fiscales entre les juridictions.

Dans le cas d’une succession qui se passe au Québec, voici les grandes lignes de la fiscalité. Lorsqu’une personne décède, elle est présumée disposer de ses biens au moment de sa mort, comme si elle vendait tout. Autrement dit, le défunt passe à la caisse avant de gagner son ciel. Le taux d’imposition applicable varie selon la taille des gains en capital (vente d’actions, du chalet, etc.) et des revenus (liquidation du REER et du FERR) du défunt durant la dernière année. Une fois que le fisc s’est servi, les héritiers peuvent se partager le reste selon les dernières volontés du défunt, ou selon un ordre établi prévu par le code civil s'il n'y a pas de testament.

Dans le cas d’une succession réglée en France, les actifs sont imposés entre les mains des héritiers selon un système qui prévoit un tarif en fonction du lien de filiation. Un époux (marié) ne sera pas imposé, un enfant sera moins imposé qu’un frère, qui le sera moins qu’un non-parent ou d’un conjoint de fait.

À cela se superpose une tarification par paliers selon la taille de l’actif transmis en héritage. Prenons le cas d’un enfant qui hérite de sa mère. Les premiers 100000 euros sont exemptés, les quelque 8000 euros suivants sont ponctionnés de 5%, un taux qui monte à 10% pour la tranche 8000 à 12100 euros, et ainsi de suite, jusqu’au sommet de l’échelle ou chaque euro excédant 1,8 million d’euros est imposé à 45%.

L’héritage devient excessivement taxé entre les mains d’un parent lointain ou d’un non-parent. L’État s’approprie alors 60%.

Une particularité de la France, tous les actifs sont frappés également par l’impôt, peu importe qu’il s’agisse de la maison familiale, de l’épargne, des gains en capital ou des bijoux de famille. Il suffit de deux successions entre personnes non liées par le sang pour voir disparaître un patrimoine.

Tout cela se complique quand la succession devient internationale, c’est-à-dire ici quand le défunt, les biens et les héritiers sont séparés par l’Atlantique.

Pour un immeuble, le code civil qui s’applique est celui de la juridiction où il se trouve. Pour les biens meubles (tout le reste), c’est l’adresse du défunt qui détermine le code applicable. Mais le lieu de résidence de l’héritier a aussi une incidence.

Ce qui veut dire qu’un couple de Québécois pourrait très bien être touché par les règles en vigueur chez nos cousins en ayant un enfant héritier qui s’est établi sur la Côte d’Azur ou en achetant un appartement à Paris. Dans le cas du bien immobilier, advenant un décès du propriétaire québécois, son conjoint pourrait avoir la mauvaise surprise de devoir payer 60% sur le fruit de la vente du bien en question.

Car en plus d’être gourmand, le fisc français ne rigole pas en matière de statut matrimonial. Pour être considérées comme conjoints par le fisc, deux personnes doivent se marier ou signer un Pacte de solidarité civil. Au Québec, il suffit d’une année de vie commune pour être uni aux yeux du fisc. Mais cela n’en fait pas pour autant des amoureux québécois un couple pour les autorités fiscales françaises.

Morale de l’histoire: une planification successorale devient drôlement compliquée dès qu’un élément international entre en jeu. Les règles qui s’appliquent ici ne fonctionnent plus. Pas totalement du moins. Cela vaut pour la France, mais aussi pour les États-Unis… et même l’Ontario!


Source: Daniel Germain, Les Affaires
Claude Gélinas, Éditeur
chaudiere.ca

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